Maurice Druon   -   Mémoires de Zeus   -  12/ Derniers Dieux
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Séjours parmi les hommes. Rencontre avec Sémélé la Thébaine. Nouvelle perfidie d'Héra.
A traverser vos cités et vos foules, je vis que la cinquième race n'était point vraiment heureuse ni véritablement bonne. Les défauts reparaissaient dans vos sociétés. Or il s'agissait d'une race nouvelle, formée sous mon règne et par mes travaux, une race dont j'étais responsable, à laquelle je m'étais uni, que ma descendance gouvernait, une race dont j'étais le potier.
L'Aube des Dieux
Il manquait à l'homme un bien, un Dieu, un principe qui lui permît de s'accepter tel qu'il était. Je pensais à ces choses un soir, observant vos visages dans les rues de Thèbes la cruelle, je rencontrai Sémélé, fille du roi Cadmos et prêtresse de la Lune. Que Sémélé soit née d'Harmonie, nul n'en pouvait douter lorsque, conduisant le collège des danseuses sacrées, elle évoluait sur le parvis du temple. Mais elle venait aussi s'asseoir, la nuit, sur le sol des cours d'auberge pour écouter les conteurs, à la lueur de la lune et des torches de résine. Elle avait le goût de l'escapade.
Et puis le lendemain, en jupe longue, les seins nus, le front et les bras couverts de joyaux, elle reparaissait sur le parvis, au son des sistres, ses longs balancements, ses bonds et ses extases. Ce fut devant un combat de lutteurs que nous fîmes connaissances. Sémélé, poussée par les spectateurs, était comme écrasée contre moi, frémissante, haletante. Je jetai aux lutteurs une poignée d'oboles pour redonner violence à leurs assauts. Sémélé me saisit la main et y enfonça ses ongles. Elle était bien la descendante d'Arès. 
Les Jours des Hommes
Nous nous revîmes souvent lors de fête, de jeux, de rixes ou d'incendies. Sémélé m'occupait l'esprit et de l'Olympe je surveillais Thèbes et, dès qu'une foule s'amassait, j'accourais. Lors de la dispersion des badauds, j'entrainais Sémélé vers une fontaine et là, nous parlions longuement. Je désirais la séduire, autant qu'elle désirait être séduite. Mais je ne voulais pas cette fois abandonner mon apparence de mortel. Bientôt, ses flancs s'alourdirent.
Sémélé - Anne-Lan
Jupiter et Sémélé - Jean-Baptiste Deshays de Colleville
Mes allées et venues à Thèbes avaient éveillé les soupçons d'Héra. Mais pour ne pas être à nouveau pendue par les cheveux, elle usa de ruse, se déguisa en vieille mendiante. Nous nous regardions et feignions d'être mutuellement dupes de nos travestis. Sémélé ne cachait pas son état et avait annoncé à son père Cadmos qu'elle était grosse de Zeus et Cadmos n'en était pas étonné. Mais la vieille mendiante clabaudait partout que la fille du roi mentait pour couvrir son péché.
Les sœurs de Sémélé, jalouses, se hâtèrent de propager la calomnie. Dans la ville, au palais, on regardait Sémélé avec mépris. Les prêtres se concertaient. Sémélé se fit conduire la mendiante. Elle lui dit qu'elle ne faisait que rapporter la rumeur et que Sémélé, elle même, devrait être plus sure, car son amant n'est pas de la ville. Sémélé frappant du pied, affirmait qu'il s'agissait de Zeus. La mendiante eut un regard méchant. "Alors - lui dit-elle - si c'est Zeus demande lui de se montrer à toi dans son aspect de Dieu. Tu n'auras plus de doute et la ville non plus."
Quand je revis Sémélé, grosse de sept mois, elle me demanda pour le bien de l'enfant qu'elle portait, de lui accorder ce qu'elle voulait me demander. Je promis et même jurai par le Styx. Je l'aimais. Mais dès qu'elle eut formulé sa demande, je compris le tour affreux que mon épouse lui avait joué. Je ne pouvais plus me dérober et si je l'avais fait, la colère du roi et des prêtres se serait abattue sur elle. Il l'aurait déchirée, lapidée, assommée.
Je me fis le plus prudent que je pus, avec la plus faible foudre, celle qui n'embrase qu'un arbre, qu'une forêt, qu'une seule cité. C'était trop pour qu'une vie humaine en pût supporter l'éblouissante incandescence. La malheureuse Sémélé eut-elle le temps de voir le terrible éclair qui surgit de mon poing ? Pourquoi faut-il détruire ce que l'on aime ? Je me précipitai pour arracher de ses flancs l'enfant mâle qu'elle portait. Plus tard, Cadmos et ses prêtres ne retrouvèrent qu'une mince forme noirâtre, au pied d'un pin calciné, portant les bijoux dessoudés de Sémélé.
Dionysos. Son enfance menacée. La vigne et l'ivresse. Le cortège des Bacchantes. Périple et fonction libératrice de Dionysos.
Avec un embryon de Dieu sur les genoux qu'il me fallait nourrir et cacher, j'appelai à l'aide l'inventif Hermès. Je l'avais placé à l'aine pour qu'il eût plus chaud et cela donna à Hermès l'idée de le placer dans la cuisse d'une grande statue et de demander d'entretenir en secret un feu de braise autour. C'est pourquoi on fit dire qu'il était né de la cuisse de Zeus.
Quand nourri de lait et de miel comme je le fus, Hermès vint le prendre et le remit au roi et reine d'Orchomène. Mais Héra comprit qu'il s'agissait de l'enfant de Sémélé et frappa de démence le roi et la reine d'Orchomène. Hermès reprit mon fils et le confia très loin, en Asie, aux nymphes de Nysa en recommandant qu'il soit toujours couvert d'une toison de bélier. On le nomma alors Dionysos ce qui veut dire à la fois "Dieu de Nysa ou celui qui est né deux fois."
Dans cette vallée de Nysa pousse une plante merveilleuse, la vigne et très vite Dionysos imagina de presser les grains, comme on presse le pis des brebis pour obtenir le lait, les grains du blé pour extraire la farine ou les olives pour en tirer l'huile. Il inventa le vin. Dès qu'il en eut goûté, il éprouva un bien être incomparable et se sentit vraiment le Dieu qu'il était. Il eut chaud et rejeta la toison de bélier. Héra l'aperçut et le frappa de folie.
Commença alors une étrange course à travers le monde, joyeuse et triomphale ou furieuse, insensée, délirante. En Phrygie il rencontra sa sœur Déméter qui l'initia à ses mystères, c'est pourquoi le pain et le vin sont unis dans la célébration des mystères. Dionysos, encore nommé Bacchus, allait couronné de lierre ou de vigne vierge, tenait un sceptre de bois, le thyrse, terminé d'une pomme de pin. Il était suivi des nymphes qui l'avaient nourri; les Ménades ou Bacchantes. A peine vêtue, elles jouaient  de la flûte ou du tambourin, dansaient sur les chemins et les places et avaient le pouvoir de dompter les fauves.
A ce cortège se joignaient les dryades, faunes, satyres, des mortels en quête de violence, d'aventure ou d'ivresse, des soldats et danseuses avec à leur tête, leur chef, coupe d'or à la main, sur un haut char tiré par des panthères. Partout, Dionysos instituait son culte et implantait la vigne. Un roi de Thrace voulut interdire cette culture, il prit une faux, coupa les ceps et fou de rage coupa les pieds de ses fils et les siennes propres. Des pirates un jour, s'emparèrent de Dionysos ivre sur une plage, pour en tirer rançon. A peine à bord, ils virent une vigne grimper au mât, s'entortiller aux agrès, nouer les avirons. Et furieux de colère, le Dieu devint un tigre et un lion qui se mirent à bondir dans l'embarcation. Les pirates se jetèrent à l'eau et se noyèrent.
Dionysos pouvait chanter aussi merveilleusement qu'Apollon et disserter magistralement comme Hermès. Il alla en Asie Mineure, en Egypte, en Libye, puis il alla en Indes, il pensa venger la mémoire de sa mère et il revint. Passant à Ephèse, il repoussa l'armée des Amazones, les obligeant au culte de la ruche comme du vin, à Naxos il consola l'inconsolable Ariane, et il arriva à Thèbes. 
Le roi Penthée descendant de Cadmos, était un despote austère qui n'apprécia pas ce campement de nomades qui défilaient dans les rues en dansant et têtes nues. Son peuple soudain se débauchait, les femmes rejetaient leur voile, les ouvriers leur labeur et même Tirésias, le devin aveugle, s'était couronné de pampres et dansait. Ce dernier, conseilla au roi de ne pas s'opposer à ce jeune homme, car il était Dieu.
Dionysos - Villa Borghèse
Penthée donna l'ordre d'arrêter les nomades et leur chef. Le soir l'émeute grondait, les grilles de la prison furent ouvertes, la palais incendié. Penthée prit la fuite et fut rejoint par un groupe de femmes thébaines, ivres de vin et de liberté. Elles lui tranchèrent la gorge au pied d'un pin, de la main même de sa propre mère qui ne le reconnut pas.
La vigne fut plantée à Thèbes, un culte fut institué en l'honneur de Dionysos et de Sémélé. Héra comprit qu'elle ne pouvait plus s'opposer à son triomphe universel et l'accepta aux rangs des Olympiens. Avant d'occuper ce trône, Dionysos se rendit aux Enfers afin de ramener sa mère sur l'Olympe. Ce Dieu vous est nécessaire au même titre que la Raison, le Savoir ou la Loi. Il est un Libérateur dans l'état comme Prométhée l'est dans le devenir.
Vous participez à son œuvre lorsque vous mettez des masques, portez costumes de carnaval, vous travestissez en soldats ou en tigre. De même l'acteur qui sur le théâtre coiffe le diadème de l'empereur, renverse les fausses idoles, succombe à un amour malheureux, réalise pour lui, comme pour vous, un acte dionysiaque. De même le voyage et encore l'ivresse efface l'infirmité de ne pouvoir être que ce que vous êtes et promis à disparaître. Dionysos est le guide qui vous manquait et le meilleur cadeau que l'on pouvait vous faire.
Ariane et Dionysos - peinture murale Musée Getty - Malibu - 75 av JC
Les femmes dionysiaques. Antiope, Electre et Danaé parmi bien d'autres. La nuit d'Alcmène.
Les hommes dionysiaques pour se libérer ont l'aventure, l'exploit, la représentation artistique ou la débauche. Les femmes dionysiaques n'ont que l'amour pour apaiser leurs démons et accéder à l'illusion fugace d'étreindre le monde. Quand vous voyez vos files ou vos épouses le regard rivé à leur miroir, immobiles contre le fût d'un arbre, vous dites qu'elles rêvent, mais vous ne savez pas à quoi !
Moi, penché au balcon des nuages, j'entends monter leurs appels muets et je distingue sans peine le dessin de leurs songes. 
Belle Antiope, tu attendais d'être violée par un satyre, je me suis fait des pieds de chèvres, des cuisses velues. Que tu aies fini folle, n'est pas ma faute, tu étais déjà folle avant de me connaître.
Electre de Samothrace, tu me voulais danseur, serpent, flamme, gel. J'ai dansé pour toi sur des charbons ardents, puis revêtu l'aspect d'un serpent sacré pour t'étreindre de spires glacées.
Chère Danaé, ardente Danaé, que ton père jaloux avait enfermée dans une chambre de bronze et qui tendais ton ventre à la caresse du rayon de lumière tombant du soupirail. Je revêtit la chlamyde et les traits de ton frère. Je lançai une pluie d'or qui te permis d'acheter tes gardiens. Notre fils Persée tua la Gorgone; délivra Andromède et changea ses ennemis en statue de pierre.
Moderne femme-serpent
Antiope et Zeus - Le Corrège